Exercice d’admiration



Dernièrement je me suis surpris en suspension dans le temps, l’avant-bras appuyé contre le mur de ma cuisine, en train de penser à René Char, le poète qui n’a jamais pensé à moi une seule seconde. Pendant quelques secondes j’étais absorbé par la vitalité de sa poésie, que je comparais à la mienne, médiocre et souvent noire, une anti-poésie en somme. Je pense régulièrement à des gens, des personnalités publiques, beaucoup de journalistes que je regarde avec admiration, mais aussi les poètes, les scientifiques et philosophes, et enfin les gens de mon entourage. Je suis un misanthrope de pacotille, un misanthrope à double fond : je déteste les gens pour mieux les aimer au fond. Et avec ça, un piètre poète, dans le sens où je conçois la poésie comme quelque chose qui enchante et qui lutte contre la « rouille de l’esprit » en même temps… S’émerveiller à nouveau, remettre en perspective des choses banales oubliées par le caractère quotidien : « ah que la vie est quotidienne… » Je rêve de faire une poésie qui rende sa vitalité à la vie elle-même, mais en vain.

Pour ce qui est de la rouille de l’esprit, je n’ai guère à me forcer, car tout ce que je fais est décalé. C’est un avantage et un inconvénient, et j’ignore à quoi c’est dû. Il ne s’agit sans doute pas d’un déficit ou d’un excès d’intelligence : j’ai juste l’esprit créatif, c’est une tournure d’esprit. Et je crois détester les clichés, qui m’ennuient profondément, même si je ne prétends pas faire une musique révolutionnaire comme celle d’Autechre, d’Aphex Twin ou d’autres nettement plus inspirés. Il est vrai que je compare souvent mon travail musical, poétique ou informatique à d’autres œuvres ou démarches, mais la comparaison est vaine, puisqu’il faut faire son propre chemin et que les influences, même si elles existent malgré soi, ne peuvent constituer à elles seules une signature. Alors je me laisse tranquille : je cultive mon naturel, ma singularité, qui repose pour beaucoup sur la connaissance que j’ai des musiques, des poètes, etc., et tente d’en éviter le rappel au détour d’une phrase ou d’une mélodie. Pour autant, souvent, ce qui m’enthousiasme me conduit à produire moi-même. La vie, au fond, est inspirante, et plus encore les gens et les œuvres de l’esprit. Dans l’échelle des admirations, je place mes amitiés très, très haut.

Les amitiés, mes parents, mes fréquentations sont une source d’inspiration énorme. Je suis en couple, musicalement parlant, avec un de mes amis, Jérôme, et ça fait des étincelles. Je trouve nos productions, depuis des années, tout à fait enthousiasmantes et j’ai plaisir à m’associer à son inspiration incroyable pour former FAIM DE RÊVE, notre duo musical. J’ai une trop grande fascination pour l’intelligence et la bienveillance pour glisser dans le ressentiment. Trop souvent, je ne comprends pas qu’on n’en fasse pas commerce et qu’on préfère ce qui nous rabaisse, ce qui détruit, à toute la magie de ce qui fait la lumière de l’humanité. Dans la culture populaire, ça me fait penser à ce film Love Actually, qui met en relief l’amour à tous les étages, l’amour à portée de tous et sans prince charmant. On peut chanter avec Björk : « All is full of love » ! Il suffit juste de le voir.

Certes, on peut se focaliser sur le dernier meurtre à la mode, la violence ordinaire largement relayée à la télévision, et, pour compléter sa noirceur, s’abreuver d’émissions sur les crimes, oui, suivre les infos du matin au soir, mais dans quel but ? Je crois qu’il faut garder en tête le caractère éphémère de tout et voir la beauté là où elle se cache. J’aspire à cet élan.