Fermeture définitive
Je ne suis pas là.
Je ne l’ai jamais été vraiment.
Il y a eu un temps où j’ai fait semblant.
J’ignore même pourquoi.
Entraîné dans le mouvement vers l’aval,
comme dans un fluide
dans lequel je m’étais dissous.
Rien ne m’intéresse plus en moi.
Après m’être fréquenté trop longtemps,
je me suis peut-être lassé.
Simplement, je m’en fous désormais,
sans même me déconsidérer.
Comme je me fous de la vie,
de ce qu’on appelle la vie
et qui se résume à l’emballage.
Je ne cherche même pas vraiment à me détruire.
Je n’ai rien contre moi.
C’est juste de l’indifférence.
Lorsqu’on joue à la vie,
souvent seulement à la seule fin de la conserver,
quotidiennement,
dans un labeur infini,
dans une terreur inouïe,
ou poussé par un enthousiasme incommensurable,
comme par un appétit d’ogre sur tout ce qui existe alentour,
poussé à avaler par les yeux, la bouche et tous les sens,
on en oublie le caractère éphémère et absurde
devant la douleur, la faim, la soif.
Ni la faim ni la soif ne m’ont effleuré, jamais.
J’ai oublié que j’avais un corps.
Je m’en suis désintéressé.
Je suis devenu, depuis trop longtemps, un être métaphysique.
Je m’y suis habitué.
C’est immoral, mais...
Ici seulement se loge la vie la plus pure.
Les rouages de la machine
aspirent tous à devenir le plus gros engrenage.
Quant à moi,
les seules choses qui m’animent
sont celles qui me reposent,
sont celles qui stimulent mon intellect et ma créativité.
Je me moque désormais des glorioles qui ne durent pas.
Je me moque de ce corps plongé dans les oubliettes,
excepté dans la douleur.
Parfois, je me dis que c’est le bon chemin :
n’attendre rien, absolument.
N’attendre ni rien de soi, ni rien des autres.
Être un simple spectateur
de la vie à temps plein,
de sa propre vie à temps plein,
passif à l’infini.
Éviter toute souffrance physique et morale durable,
à tout prix.
Échapper à tous les paradis artificiels
qui offrent, au bout, la souffrance.
Ni le vin ni le pain n’auront ma peau.
Je veux juste le repos,
l’indifférence,
la paix.
La solitude qui m’accompagne,
je l’étreins les soirs où ça me chante.
Rien n’a de sens,
rien n’est chaos,
puisque rien n’a de sens.
Le sens, quand on y croit trop,
est une impasse
qui s’appuie souvent sur des illusions
ou des blessures.
La liberté, nous la possédons déjà.
Elle n’est pas extérieure à nous-mêmes.
Nous n’avons besoin de rien.
Nous n’avons besoin de rien.