1. Introduction — L’outil à portée de clic (1/6)
Je fais partie de la génération de ceux qui ont vu naître la démocratisation et le commerce des ordinateurs personnels — ces machines qu’on ne prête pas à son voisin, et pour cause : on y a tous ses films, ses comptes bancaires, ses mots de passe… bref, toute sa vie. La génération « ordi ».
Avant d’être vieux, j’ai eu douze ans — ou dans ces eaux-là. J’étais en 6e, je prenais le bus au coin de la rue, à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. En face de l’arrêt, il y avait une vitrine où mon regard se perdait parfois. Un jour, mon attention a été happée par les touches nombreuses d’une calculatrice PB-110 de chez Casio. Fasciné par cette complexité apparente, ce fut comme un coup de foudre.
J’ai économisé pendant des semaines mon argent de poche pour m’offrir ce petit monstre, avec son manuel d’utilisation — que j’ai lu. J’ai découvert qu’on pouvait la programmer en langage BASIC, qu’on pouvait même créer de petits jeux… Alors j’ai commencé par copier du code sans comprendre, puis j’ai appris à faire mes propres programmes. Et plus tard, je me suis payé la PB-700, avec son écran plus grand. C’était le bonheur.
Et ce n’était que le début.
S’en sont suivis l’AMSTRAD 6128, une ribambelle de versions de Windows, des études en informatique de gestion, en développement client/serveur… Et aujourd’hui, je clique encore. Mais ce monde a changé.
J’ai connu les balbutiements d’Internet, le son strident des modems, les pages longues à charger, les forums d’entraide, les premières adresses e-mail. C’était lent, mais porteur de promesses. Aujourd’hui, la technologie s’est fondue dans notre quotidien — on ne la remarque plus, on l’utilise sans y penser.
La génération actuelle n’est plus fascinée par la naissance des outils, elle est née avec. L’ordinateur, la tablette, le smartphone, l’IA générative : tout cela n’a rien d’extraordinaire pour elle, c’est normal. Que ce soit bien ou mal, ce n’est pas mon propos ici. Mais cette accessibilité a un prix.
Tout s’est très vite démocratisé, notamment grâce à Windows. Tout le monde a ou a eu un ordinateur personnel. Aujourd’hui, c’est internet qui donne le « la ». Ceux qui n’ont ni téléphone, ni ordinateur, ni connexion, sont exclus : de la déclaration d’impôts, des démarches administratives, d’une part de la communication, et surtout… de l’accès à la connaissance.
Le monde capitaliste nous tient.
Tout est à portée de clic — pour ceux qui veulent, et même pour ceux qui ne voulaient pas.
Aujourd’hui, avec un ordinateur et quelques logiciels, on devient musicien, chef d’orchestre, photographe, écrivain, codeur, penseur... Mais à quoi bon devenir tout cela… si c’est pour se perdre dans le bruit du monde ?